Direction Générale de la supervision des institutions financières |
L’escroquerie
s’est installée dans le secteur des micro-finances dans notre pays. Des structures
fantômes promettent un taux d’intérêt très incitatif à nos populations et disparaissent, quelques mois plus tard, avec
toute leur économie. Cette situation qui a des conséquences désastreuses sur
les ménages ainsi que l’économie nationale, suscite de vives inquiétudes.
Alors,
sur la demande de KonakryExpress, j’ai réalisé une série d’interviews auprès des
responsables de ce secteur dont voici celle que m’a accordée El hadj Kémo
Condé, Directeur de la supervision des institutions de micro-finance.
1 1) A quoi consiste le travail de
votre département ?
EL Kémo Condé |
K.C : Ici, c’est la direction de la
supervision des institutions de micro finance. C’est cette direction qui est
chargée d’élaborer la réglementation. Quand je dis : Réglementation, il
s’agit des textes de loi et les instructions de leur application. Elle est également
chargée de la supervision. La supervision consiste donc à veiller à
l’application de ces textes réglementaires en effectuant des contrôles sur pièces (c'est-à-dire à travers les
états financiers que ces institutions nous transmettent) ou à travers des
contrôles sur place en se rendant sur le terrain pour savoir ce qui se passe.
Globalement, c’est la mission dévolue à notre direction.
2) Il y a aujourd’hui combien
d’institutions de micro finance en Guinée ?
K.C : Les institutions de micro
finance qui sont autorisées à exercer cette activité sont au nombre de treize
(13). Ce sont : Crédit Rural de Guinée (CRG) ; Caisses Populaires
d’Epargne et de Crédit de Guinée (CPECG) ; Programme Intégré pour le
Développement de l’Entreprise ( PRIDE FINANCE) ; Agence Autonome
d’Assistance Intégrée aux Entreprises (3AE) ; Société Coopérative de
Mobilisation des Ressources pour l’Investissement en Guinée ( MIGUI) ;
Société Anonyme Financial Développement (FINADEV SA) ; Caisses
Communautaires d’Epargne et de Crédit et de Crédit de Guinée (CCECG) ;
Centre d’Appui et de Formation au Développement à l’Epargne/Crédit et à
l’Education Civique (CAFODEC) ; Mutuelle d’Epargne et de Crédit des
Pêcheurs Artisanaux de Guinée (MECREPAG) ; Réseau d’Assistance Financière
aux Organisations Communautaires (RAFOC ; Coopérative d’Epargne et de
Crédit Nafa (COOPEC NAFA) ; Groupement d’Appui à l’Auto promotion
Economique et Sociale (GAAES) et Maison Guinéenne de l’Entrepreneur (MGE).
Elles sont implantées un peu
partout sur le territoire national.
3) Quels sont les apports de ces
institutions à l’économie nationale ?
K.C : Je pense que ce sont elles mêmes
qui sont mieux indiquées pour répondre à cette question. Ce sont elles qui
mesurent l’impact du service qu’elles fournissent aux populations à la demande,
souvent, des différents bayeurs de fond. Nous, en tant que banque centrale,
nous assumons la tutelle, la supervision pour s’assurer de la bonne marche des
différentes structures. Mais nous ne faisons pas d’étude pour mesurer l’impact.
4) Quelles sont les difficultés que
vous rencontrez dans l’exécution de votre mission ?
K.C : L’une des principales
difficultés que nous rentrons avec ces institutions, c’est le non respect -par
la plupart d’entre elles- du délai de transmission des états financiers. La loi
dit qu’à partir du 15 avril de chaque année, elles doivent nous fournir leurs
états financiers certifiés. Mais avec le manque d’électricité (par exemple)
elles ont des difficultés de tenir ce délai. L’autre difficulté c’est la
concurrence déloyale. Je viens de citer les institutions agréées par la banque
centrale. Il y en a d’autres qui opèrent de façon illégale sur le terrain
livrant ainsi une concurrence déloyale à celles qui sont agrées. Un autre
problème est que les fonds se font de plus en plus rares. Avec tout ce que
notre pays a vécu comme crises ces dernières années, la plupart des bayeurs
avaient fermé les robinets.
5) Est-ce que la banque centrale
apporte de l’aide financière aux institutions de micro finance en Guinée ?
K.C : Non ! Cela ne fait pas
partie des attributions de la banque centrale. C’est l’Etat, à travers sa
politique de lutte contre la pauvreté, qui peut faciliter l’intervention de
certains bayeurs de fonds dans le domaine des micro-finances.
6) Vous parliez tantôt de structures
qui opèrent de façon illégale. Est-ce que cela veut dire qu’il y a des
institutions fantômes dans le secteur des micro-finances en Guinée?
K.C : Effectivement, il y en a. Les
gens leur déposent de l’argent et un beau matin, ils apprennent que la
structure a disparu. Tout récemment, nous avons mis la main sur trois
institutions non agrées qui promettaient 25% de taux d’intérêt en six semaines.
C’est dû jamais vu ! Nous les avons déjà fermé mais il n’est pas exclu
qu’il y ait d’autres qui sont encore sur le terrain.
7) Si vous avez réussi à arrêter les
responsables, quelle est la suite de ces affaires ?
K.C : Nous avons arrêté les promoteurs
et nous les avons traduit en justice. Le jugement est en cours. Nous nous avons
l’obligation morale de veiller à la bonne santé financière des institutions que
nous avons agrées. C’est raison pour laquelle nous avons publié dans les médias
la liste des institutions autorisées par la banque centrale pour que la
population sache quelles sont les structures habilitées et demande le numéro
d’agrément à celles qui viennent vers elle.
8) A combien s’élève le montant
escroqué par ces structures et où exactement ?
K.C : Il y avait une structure de ce
genre qui faisait de l’arnaque à Kindia. Le montant en cause est de 1.200.000.000 GNF qu’elle a escroqué dans l’espace
de deux à trois mois.
9) Par quelle méthode
opérait-elle ?
K.C : Nous avons pris les documents
qui étaient en leur possession pour savoir comment elles opèrent. Nous avons
constaté que les dépôts de la semaine du 26 au 30 avril 2010, elle avait déjà
collecté 49.180.000 GNF. Ce montant a été remboursé six semaines plus tard par
les dépôts du 07 au 11 juin par ce que ces dépôts ont fait 78.080.000 GNF.
Comme elle avait déjà collecté 49.180.000 GNF qu’elle allait rembourser avec
intérêt, les 49 million plus intérêt (capital + intérêt) ça fait 61 millions.
Puisqu’elle avait encore récupéré 78 millions les semaines suivantes, elle a
payé le capital et l’intérêt dans les 78 millions et elle a eu un reliquat de
16 millions dans la semaine : c’est son bénéfice. Cela veut dire qu’elle
n’a aucun banquier, aucune ressource financière. Seulement, les derniers
déposants remboursent les premiers. Au jour de l’arrêt de leur opération, elle
était à un milliard. Imaginez-vous, ce sont des dépôts de 500.000 GNF à 200.000
GNF… Donc ça fait toute la population de Kindia car les clients ne sont pas des
gros clients des banques. Ce sont les femmes de ménage, nos mamans. Et c’est là
où il y a le danger. C’est la population la plus pauvre, la plus fragile.
10) Comment avez-vous réussi à
dénicher ces escrocs ?
K.C : Vous savez, nous avons aussi
notre stratégie. Nous avons sensibilisé les institutions de micro-finances qui
sont agrées. Nous leur avons dit : dans votre intérêt et dans l’intérêt de
tout le système, dès que vous êtes informés de l’existence d’une structure qui
fait la même activité que vous alors qu’elle n’est pas autorisée, informez
nous. Nous avons également prévu dans notre plan d’action, de faire des
campagnes de sensibilisation en nous appuyant sur les médias pour que la population
soit mieux informée.
11) Le 25 Août dernier, un document
élaboré par les experts du secteur des micro-finances a été adopté ici à
Conakry. Que contient ce document ?
K.C : Il s’agissait d’un atelier de
validation. Notre pays est l’un des rares pays qui n’avait pas encore de
politique spécifique à la micro finance contraire aux pays de la zone UEMOA où
il y a un document de stratégie nationale de la micro finance. C'est-à-dire que
c’est ce document qui permet de définir le rôle de tous les acteurs : la
banque centrale, les institutions elles mêmes, les bailleurs de fond et tous
les autres acteurs qui interviennent dans ce secteur. Donc jusqu’à une date
récente, la Guinée n’avait pas ce document. Quand il ya eu la créance d'une
agence nationale de micro finance le 19 avril 2011 -agence qui aura pour
mission principale d’encadrer et de promouvoir ce secteur-, sur financement du
PNUD les expert ont été commis à élaborer ce document. Pour cela, il fallait le
diagnostic du secteur. C’est le résultat de ces travaux qui a été soumis à
l’ensemble des acteurs et qui l’ont validé.
12) Votre dernier mot ?
K.C : Je ne peux que vous remercier
d’être venu chercher l’information à la source car tout ce que je dis ici
engage la banque centrale. C’est officiel. Je suis très heureux que vous vous
intéressiez à ce qui ce passe dans notre pays contrairement à ceux qui
balancent sur internet les informations qu’ils n’ont pas cherché à vérifier. Je
vous encourage et vous remercie très sincèrement.